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Drouais Toponymie Microtoponymie Histoire

Étude de l'origine des noms de : villages, lieux-dits et terrains dans le Drouais (Eure-et-Loir).

LES ÉGLISES DE LURAY

Cet article a été publié dans le cahier n°30 (2012) de la Société des Amis du Musée, des Archives et de la Bibliothèque de Dreux, auteur B.Hémery

Au travers des suppliques et requêtes des vicaires, seigneurs, dames et paroissiens de Luray ainsi que les comptes rendus de visites et procès-verbaux des délégués du chapitre de la cathédrale de Chartres, nous vous proposons un historique du transfert du titre de succursale de l’église Saint-Rémi de Luray à la chapelle Saint-Clair du Luat-Clairet

Le Chef-lieu de la paroisse de Luray se situait en bordure de l’Eure dans une plaine inondable et marécageuse (voir les plans de Piquet et de Cassini). Au fil des siècles il fut abandonné par ses habitants, qui migrèrent vers le hameau du Luat Clairet, situé sur le plateau au sud de Dreux. Au xiiie siècle elle comptait 50 paroissiens et en 1759 120 communiants, en 1800 cinq fermes et une dizaine maisons subsistent et en 1851 il ne reste plus que cinq maisons pour treize habitants.

Extrait de la Carte n°9 Dreux de Piquet Charles, An 8 de la République (1800).  Dédié et présenté au Ier Consul Bonaparte. (Musée du vigneron Dreux)

Extrait de la Carte n°9 Dreux de Piquet Charles, An 8 de la République (1800). Dédié et présenté au Ier Consul Bonaparte. (Musée du vigneron Dreux)

Aujourd’hui il n’existe plus de trace du chef lieu hormis le cimetière. Luray possédait deux églises : l’église Saint Rémi (évêque de Reims) de Luray près du chef-lieu, paroisse dépendant de la prébende de Berchères-sur-Vesgre appartenant au chapitre de Chartres et la chapelle seigneurial, Saint Clair, au hameau du Luat Clairet, domaine des seigneurs d’Écluzelles. Les dégradations subies par l’église Saint-Rémi, dues aux inondations fréquentes et au mauvais entretien, obligèrent à transférer les offices à la chapelle Saint-Clair. Il faudra deux siècles pour que cette chapelle devienne officiellement l’église paroissiale.

Carte de Cassini : http://cassini.ehess.fr/cassini/fr/html/ind la Ronde ex.htm

Carte de Cassini : http://cassini.ehess.fr/cassini/fr/html/ind la Ronde ex.htm

Au xviie siècle les paroissiens se plaignaient de l’administration du vicaire perpétuel prébendé, qui ne résidant pas dans la paroisse déléguait sa charge à des vicaires auxquels il donnait le bénéfice de sa prébende. En 1622 une délégation du chapitre de Chartres visita l’église et interrogea les paroissiens et le vicaire, voici compte-rendu de cette visite.

— « L’an mil six cens vingt deux, le vendredy vingt deuxièsme jour de juillet, jour dédié à la Benoiste[1] Magdeleine, nobles et circonspectes personnes Messieurs Jean Robert, soulz-doyen en nostre esglise de Chartres, au nom et comme prébendé en la prébende[2] de Berchères-sur-Vesgre, François Lemaçon, au nom et comme procureur de vénérable et discret[3] Me Germiny, prébendé aussi en lad. prébende, et Estienne Robert aussi au lieu et place de vénérable et discret Me Christophle Laboureau, prébendé aussi en lad. prébende, tous nos confrères et assistés de Me Jean-Baptiste Poussot, prebre, soubz signé, se sont transporté et présenté de cette ville de Chartres jusques au lieu et église de Lurey, dépendant de lad. prébende, où estant arrivés sur les deux heures après midy, ont trouvé, à l’entrée de la porte de l’église, Me Claude Le Roy, prebre, avec les gagers portant la croix et la bannière, lequel Le Roy, interrogé par le soubz-doyen, a répondu qu’il estoit comme ayant charge de Me Jean Barrois, prebre, vicaire perpétuel dud. lieu, lequel luy avoit depuis peu résigné[4] le bénéfice de Lurey, qu’il ne savoit où estoit led. vicaire perpétuel ny pourquoy il ne résidoit, qu’il y avoit longtemps qu’il n’estoit venu aud. bénéfice et n’avoit résidé en iceluy … Estant entrez dans l’église avec les parroissiens, le soubz doyen a visité le tabernacle qui est dessus le grand autel, et a trouvé en iceluy un ciboire d’estain dans lequel estoit cinq hosties que led. Le Roy a dit avoir incluses ce jourd’huy et avoir usé les précédentes, lequel tabernacle est en danger de tomber, n’estant que sur un morceau de bois soustenu de trois ou quatre pierres mal polies et non liées ny joinctes d’aucun ciment … Les fonts baptismaux contiennent les vaisseaux des saintes huisles fort vieux et qui ne joignent guères bien non plus que les fonts, esquels avons trouvé des araignées vrais et courantes dans iceux. … Sur ce, led. Le Roy, requis s’il y avoit esté baptisé, a dit qu’il n’en savoit rien. Sur ce, les parroissiens se sont plaincts que les vicaires perpétuels, qui ont esté cy devant, n’en ont voulu faire aucuns, quoy qu’ilz en ayent par eux esté requis … Après, les parroissiens requis s’il y avoit une sage-femme en lad. parroisse, ont dit qu’il y en avoit une au Luat, qu’il n’estoit présentement à régler. »

« Cela achevé, led. sieur soubz doyen s’est transporté à la Tablette, et a requis lesd. parroissiens quelles plaintes ils avoient à dire contre led. Barrois, leur vicaire perpétuel ; lesquels ont répondu qu’ils n’ont a se plindre, sinon que, depuis huit ou dix ans, il n’y ademeuré, sinon qu’il leur a baillé des vicaires qui ont faict actuelle résidence, qui disoient Vespres tantost tost, tantost tard … Led. sieur Le Roy a dict qu’en luy résignant, led. sieur Barrois luy a dict que le bénéfice de Lurey valloit plus de trois cens cinq livres. — Enquis quel bien peult avoir l’église, les gagers ont dit pouvoir y avoir quelques vingt ou vingt deux livres de revenu de ferme, que du reste les précédents gagers n’ont remis leur recette de l’église de ce lieu. — Enquis combien il peult y avoir de parroissiens, disent n’y avoir que quelques vingt-cinq ou trente feux … » (Suivent les signatures).

[1]Benoiste, bénédiction, bénie

[2] Prébende, du latin prevende xiiie s. Revenu fixe accordé à un ecclésiastique (dignitaire d’une cathédrale, chanoine).

[3] C'estoit autrefois un titre d'honneur pour les Prestres & pour les Docteurs. Venerable & discrete personne.

[4] Résigner, abandonner volontairement à quelqu’un un bénéfice, un droit.

Dans la première moitié du xviie siècle les seigneurs d’Écluzelles firent reconstruire la chapelle Saint-Clair, qui était sur leur domaine du Luat, celle-ci ayant été démolie pendant les guerres de religions. En 1655 le curé et les paroissiens de Luray adressèrent une requête au chapitre de la cathédrale de Chartres pour réconcilier la chapelle pour y célébrer la messe.

LES ÉGLISES DE LURAY

— « A Messieurs les vénérables doyens, chanoines et Chapistre de l’Eglize cathédralle de Nostre-Dame de Chartres ;

« Supplient humblement Julien Quesnette, prebre, curé de la parroisse de Luré, dépendant de vous, Messieurs, et les manants[1] et habitants de lad. parroisse, disant qu’il y a eu cy devant et de tout temps une chappelle fondée soubz l’invocation de saint Clair, au milieu du Luat, assis en lad. parroisse, laquelle chappelle, par vétusteté et par désordres des guerres, avoit esté desmolie et ruiné ; mais a esté de nouveau réédiffiée par le soings et au fraiz des seigneurs et dame d’Escluzelles, seigneurs dud. lieu du Luat ; et d’autant que ceste restauration ne suffit pas pour y célébrer nouvellement et à l’avenir la Sainte-Messe, qu’elle n’ayt esté bénie, et apporté les autres cérémonies pour la consécration de l’autel eslevé en lad. chappelle, dont en droict, Messieurs, vous appartient comme seigneur spirituels dud. lieu. A ces causes, les Suppliants vous présentent ceste humble requeste, affin que ce considéré, Messieurs, il vous plaise de donner les ordres nécessaires pour la bénédiction de lad. chappelle de Saint Clair aud. lieu du Luat, aux fins que dessus. Et vous obligerez lesd. Suppliants à prier Dieu pour vostre saincte et célèbre Compagnie. » (Suivent les signatures).

[1] Manant. n. m. Habitant qui demeure & est habitué en un bourg ou village. En ce sens on ne le met guere qu'au pluriel & en cette phrase. Les manants & habitants de telle Paroisse.

LES ÉGLISES DE LURAY

En 1657 le curé de Cherisy, notaire apostolique de Chartres, visite de la chapelle et rédige le rapport suivant.

— « L’an mil six centz cinquante sept, le vingt cinqtième jour de juin, après midy, Me Jean Françoys, prebe, curé de Cerisy, nottaire apostolique du diocèse de Chartres, accompagné de discrète personne Messire Julien Quenette, prebre, curé de Saint-Rémy de Lurey, et Messire Pierre Larcher, prebre, curé d’Escluzelles, et autres soubzignez, nous sommes transportz à la prière et reques dud. sieur de curé de Lurey et de Messire Jean de Sabrevois, chevalier, seigneur d’Escluselles, du Luat Clairey et autres lieux, bailly capitaine et gouverneur des villes et châteaux de Dreux, maistre d’hostel ordinaire du Roy et maistre des eaux et forestz au Baillage et Compté dud. Dreux, en la chapelle cy devant fondée soubz l’invocation de Saint-Clair aud. village du Luat-Cleray dans le destroit de ladicte parroisse de Luray, laquelle chapelle estant cy-devant presque tombée en ruine et démolie tant par les guerres que par le laps du temps, nous avons trouvée en estat deub et bien deuement réparée par les soins, frais, coustz et diligence dud. sieur d’ecluzelles, couverte et pavée de neuf, bien close de murs, bien enduie, et fermée d’une porte neufve avec une table pour sur icelle mettre un autel portatif, ny restant rien à faire que les vitres que l’on nous a asseurez estre faictes et prestes à apposer avec les ferrures d’icelles. Où estantz suvenus quelques habitantz entre autres la veufve Bartazard Joret, aagée de soixante et dix ans et plus qui, nous a dict avoir veu célébrer la sainte messe en lad. chapelle quoy que découverte par defunt Messire Jean Barrois pour lors curey dud. Luray ; dont et de tout ce que dessus led. sieur curey de Luray nous a demandé acte, pour estre présenté à Messieurs les vénérables doien, chapitre et chanoines de l’église de Chartres pour faire foy de tout ce que dessus, afin qu’il plaise ausd. sieurs commettre tel prebre qu’ils adviserons bon estre pour rebénir et reconcilier lad. chapelle, à ce qu’on y puisse doresnavant célébrer la ste messe. — Faict en lad. chapelle les jour et an que dessus, en présence des cy dessus desnommez et de Louys Percheron le jeune qui avec moi nottaire susd. et plusieurs autres habitans de lad. paroisse ont signé les présentes. » (Suivent les signatures).

Il fallu encore cinq années et plusieurs requêtes, pour qu’en 1662 le Chapitre de Chartres permette la bénédiction de la chapelle Saint Clair du Luat

— « Supplient humblement et vous remonstrent Jullien Quesnette, prebre-curé, vicaire perpétuel de l’église parrochiale[1] Saint-Rémy de Luré, messire Jean de Sabrevois, chevalier, seigneur d’Ecluselles, le Luat-Cleray et autres lieux, bailli gouverneur des ville et chasteaux de Dreux, maistre des eaux et forestz, capitaine des chasses, pour le plaisir de Sa Majesté, et maistre d’hostel de son hostel, et dame Catherine de Vieupont, son épouse, Charles de Bellefosse-Joret, garde du corps de feu son altesse Royale, et les manants et habitans du village du Luat-Cleray, paroisse dud. luré, disans que la chapelle jadis bastie et erigez, soubz l’invocation et l’honneur de StClair, aud. village du Luat, aiant esté ruiné pendant les guerres et troubles de la religion et de la Ligue, durant le siège de Dreux, et le comble d’icelle en aiant esté abbatu ; et ce nonobstant, l’autel estant demeuré quelque temps encore, la messe y auroit esté célébrée et plusieurs processions receues, comme de coutume elles y venoient ; néanmoins par depuis plusieurs années en çà elle auroit esté négligée et profanée, jusqu’à ce que les exposans, désirant continuer la dévotion antienne de leurs prédécesseurs et de tout le paiis, se seroient mis en debvoir la restablir et la mettre en l’estat qu’elle est. pourquoy vous auroient faict et présenté plusieurs requestres en votre chapitre et à messieurs les prébendez de la prébende de Berchères-sur-Vesgre, dont lad. paroisse de Luré faict partie, demandé par icelle qu’il vous pleust recongnoistre et voir le rétablissement de lad. chapelle, pour, après l’avoir trouvée en estat deub et suffisant, en faire la reconciliation et bénédiction que vous trouverez nécessaire pour y célébrer la messe aux jours et heures convenables sans faire préjudice au droit et devoirs parrochiaux dud. Luré, et d’autant que la proximité de la feste de Saint-Clair, patron de lad. chapelle, dans les sentiments des Supplians et de tous les peuples voisins les oblige d’en procurer l’octroy qui dépend absolument de vostre autorité, estant lad. parroisse à vous appartenant et de vostre juridiction spirituelle et ecclésiastique. A ces causes il vous plaise, Messieurs, ordonner que visitte sera faicte de lad. chapelle au plus tôt, attendu la prochaine feste de Saint-Clair, pour informer et recognoistre ce que dessus. Ce faisans vous obligerez les Supplians à prier Dieu pour vous. » (Suivent les signatures).

[1] Parochial, adj, est issu du latin chrétien parochia « paroisse »désignant un territoire ecclésiastique, spécialement le ressort d’une église épiscopale.

Ensuite est écrit :

— « Lecture faicte au Chapitre de la requeste cy-dessus présentée par Monsieur le doyen de l’église, de la part de M. Julien Quesnette, prebre, vicaire perpétuel de Lurey, le Chapitre a commis Messieurs Thores, official, et Baudouin, promoteur, pour recognoistre les lieux, et, en cas que le tout soit bien suivant l’énoncé de la reqhestre et les canons, lesd. sieurs autorisez de reconcilier lad. chapelle, ce dont ilz dresseront procès-verbal. — Faict au Chapitre de Chartres, le mercredy sept juin mil six cens soixante et deux. — Signé : Contet, notaire, secrétaire du Chapitre de Chartres. »

Le 19 juin Messieurs Thores, et Baudouin rendirent à Luray dont voici le procès-verbal.

— « Nous … avons trouvé lad. chapelle estre longue de … pieds, large de … , fermée et close de bonnes et anciennes murailles, bien percées de vitres couverte convenablement, une bonne porte et serrure, un autel prest à orner, de sorte que la reconciliation faicte, avons recogneu lad. chapelle estre en estat d’y pouvoir célébrer la messe, pourveu que l’énoncé de lad. requestre soit véritable … Sur ce, après avoir interrogé les anciens habitans du lieu : Pierre Fromenger, aagé de 74 ans ; Françoise Baudoin, aagée de 64 ans ; Jean Baptiste Méré, aagé de 63 ans ; Marye Le Marié, veufve feu Nicolas Joret, aagée de 80 ans ou environ ; Jeanne Patriarche, veufve feu Nicolas André, tous manans et habitans de lad. paroisse, lesquels ont confirmé le contenu de la requestre, … avons procédé à la reconciliation de lad. chapelle, suivant le rituel de l’église et diocèse de Chartres, après quoy y avons célébré la messe du jour de feste de SS. Gervais et Prothais avec mémoire de Saint-Clair, patron de lad. chapelle, et de suite permis au sieurs Curez, vicaires perpétuels approuvez, d’y célébrer doresnavant la messe. Faisant néanmoins deffense de l’y célébrer au préjudice du devoir parrochial, et le tout hors des heures du service divin en la paroisse dud. Lurey dont les paroissiens ne sont dispensez, et aussy sans y pouvoir faire aucunes fonction curiales pour quelle cause que se soit … ».

LES ÉGLISES DE LURAY

En 1759, en contradiction avec le procès-verbal du 19 juin 1662, la Cure est au Luat et le curé y fait l’office.

En 1859 un arrêté préfectoral, pris en accord avec l’autorité ecclésiastique, autorisa la commune de Luray à démolir la nef de l’église et d’en fermer le chœur. Elle ne sera plus utilisée que pour le service des inhumations. Ce qui en restait fut démoli en 1950.

Bernard Hémery

L'église Saint-Rémi (2012)
L'église Saint-Rémi (2012)

Bibliographie

Fillon Alain, conseiller général, maire de Luray, Les églises Luraysiennes, mairie de Luray, 2011

Lefèvre, Édouard : –Annuaire statistique, administratif, commercial et historique du département d’Eure et Loir, 1860.

LES ÉGLISES DE LURAY

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